« S’engager, c’est d’abord tenter de s’adresser aux autres ». Patrick Poivre d'Arvor
Introduction
L'Afrique est souvent présentée comme une mosaïque de peuples et de cultures c'est la principale caractéristique de sa sociologie. Elle est aussi perçue comme le contient du sous-développement car les données statistiques sont sans appel : les pays africains sont classés dans les derniers en matière de PIB (1) et D’IDH (2). La croissance de la population s'accompagne d'un exode rural massif et d'une croissance vertigineuse des villes. Au cours de la seconde moitié du XXème siècle, pendant que la population de l’Afrique subsaharienne triplait, celle des villes était multipliée par neuf. Il s’agit, là encore, d'un phénomène de rattrapage car l'Afrique est le continent le plus faiblement urbanisé de la planète (Kalassa, 1994).
En 1995 avec 14 % de la population mondiale, l’Afrique totalise 1 % du PNB mondial (3) (sans l’Afrique du Sud). Avec plus ou moins 660 millions d’habitants, le PNB était inférieur à celui de l’Espagne (44 millions habitants) et avec 60 millions d’habitants, celui de la France était trois fois supérieur à celui de l’Afrique.
Années Population
1900 100 millions
1950-1960 275 millions
1990 642 millions dont 142 millions en Afrique du Nord
2002 689 millions
2004 872 millions
2005 910 millions
2016 1, 2 milliards
Fig. 1 : Evolution de la population africaine (P. Leymarie et T. Perret, 2006)
Une caractéristique majeure de la démographie africaine est l’extrême jeunesse de sa population, les moins de 15 ans représentent 43 % de cette population. Une telle structure par âge va provoquer une forte croissance de la population active sur le continent au cours des trente prochaines années, situation qui singularisera l’Afrique face à l’Europe, au Japon et à la Chine qui vont connaitre un vieillissement rapide de leur population.
La croissance de la population active potentielle (4) (âgée de 15 à 64 ans) conduit à l’apparition de ce que l’on appelle « la fenêtre d’opportunité démographique » désignant un moment qui permet de faire passer des mesures qui n’auraient sinon aucune chance d’exister. Elle est liée à l’arrivée à l’âge adulte de classes d’âge très nombreuses susceptibles de former une force de travail considérable. Mais cette fenêtre d’opportunité implique que parallèlement la proportion de dépendants de moins de 15 ans à la charge des actifs diminue. Ce type de situation permet de bénéficier de ce que l’on nomme « le dividende démographique »(5). Ce dividende démographique est un facteur évidemment très favorable pour la croissance économique. Avec une fécondité à des niveaux très élevés, peu de pays africains peuvent espérer entrer au cours des vingt prochaines années dans la « fenêtre d’opportunité démographique ». Ils se distinguent ici aussi de la situation de l’Asie caractérisée par une forte diminution du pourcentage de dépendants. Une étude de 2007 citée par l’article de John May et Jean-Pierre Guengant (6) conclut que sur 32 pays africains seuls cinq (Ghana, Côte d’Ivoire, Malawi, Mozambique et Namibie) pouvaient espérer en profiter d’ici 2035, mais une mise à jour faite en 2013 conclut que la Côte d’ivoire, le Malawi et le Mozambique doivent être retirés de la liste des pays susceptibles de bénéficier du dividende démographique vers 2030.
Pour pouvoir bénéficier du dividende démographique, encore faut-il que les jeunes arrivant et continuant à arriver en masse sur le marché de l’emploi puissent effectivement trouver un emploi décent à productivité élevée en tout cas beaucoup plus élevée qu’actuellement. Or en Afrique la possibilité de bénéficier d’un « dividende démographique » risque donc fort de se heurter à la réalité du marché de l’emploi lié à la croissance sans profondeur précédemment explicitée.
Au final, ce qui semble maintenant à peu près certain, c’est que la transition démographique en Afrique est à peine amorcée et ne s’achèvera pas avant plusieurs décennies provoquant au cours des 30 années à venir un accroissement spectaculaire de la population et du nombre de jeunes qui vont peser sur les dépenses sociales et surtout sur l’emploi. Il va se constituer alors tant dans les campagnes que dans les mégapoles en cours de formation, une masse sous-employée sans espoir de promotion sociale composée pour une bonne part de diplômés frustrés dans leurs espérances et prête à toutes les aventures. On peut dire qu’une importante fraction des jeunes urbains africains est constituée de ceux que l’on appelle les « ni-ni-ni » : ni emploi, ni en recherche d’emploi, ni en formation. Ces jeunes, pour beaucoup à la dérive, vivent au crochet des parents ou des rapines diverses.
On peut dire que les pays africains sont confrontés aux défis des nouvelles générations qu’il faut instruire, former, éduquer et auxquelles il faudra donner du travail. L’éducation joue un rôle clé dans la bonne marche de la jeunesse et de son avenir. Le contrôle des naissances, l’émancipation des femmes, l’état sanitaire, la lutte contre la pauvreté, le combat contre le fanatisme et l’intolérance, la réduction des inégalités et la promotion de la démocratie. On représente couramment la jeunesse comme une période de bouleversement psychologique et d'émotions intenses. Certes, l'adolescence est marquée par une croissance physique rapide et par une modification de l'activité et de l'équilibre endocriniens ; cependant ces perturbations physiologiques ne conduisent pas nécessairement à l'agressivité contre la société ou contre soi-même.
Comprendre la jeunesse pour accompagner dans sa transformation
Quand les sociologues ont soutenu pour la première fois que la jeunesse était un phénomène social, c'est-à-dire le produit de sociétés particulières et non pas un phénomène universel et biologiquement inéluctable, ils ont adopté la conception généralement admise de l'adolescence alors que pour l'observateur objectif, la jeunesse est en train de devenir une phase différente de l'existence, qui succède à l'adolescence telle que la connaissait la société industrielle.
On peut dire que la situation des jeunes est en train de se transformer rapidement et radicalement. Toutes les institutions avec lesquelles ils sont en contact direct (l'emploi, l'éducation et la famille) sont en train d'évoluer. Pour certains jeunes, ces changements peuvent être absorbés dans le cadre des processus et des trajectoires classiques de l'adolescent. Il ne fait pas de doute que certains continuent de connaître une adolescence traditionnelle. Cependant, pour un nombre croissant d'entre eux, non seulement la période de la jeunesse est actuellement plus longue, plus frustrante et plus complexe qu'elle n'a jamais été, mais en outre elle représente une phase de l'existence d'un type différent, à l'époque, être une phase traumatique marquée par la rébellion.
Nous défendons l'idée que la jeunesse est en train de changer sur le plan qualitatif, qu'elle acquiert un rôle nouveau à la fois dans le cycle de l'existence et dans la société.
Des études qui se présentent comme fondées sur des échantillons représentatifs contestent elles aussi la thèse du bouleversement. Ces études, qui reposent dans une large mesure sur les hypothèses de la psychanalyse, s'intéressent donc surtout à la formation de la personnalité et à la recherche de l'identité.
L'aide que les adultes peuvent apporter aux jeunes et la façon dont elle est perçue varient considérablement selon les classes, le sexe et l'origine ethnique. Les transformations en cours ne sont certainement pas totales. Pour certains jeunes, la jeunesse demeure essentiellement le type de processus que leurs parents ont connu, mais pour d'autres, c'est-à-dire pour une minorité de plus en plus importante et peut-être pour la majorité, c'est aujourd'hui une phase de l'existence qui est qualitativement différente de ce qu'elle était.
Pour ne pas conclure
Les jeunes sont de plus en plus nombreux aujourd'hui à inventer de nouveaux modes de vie, plutôt qu'à se laisser socialiser afin de pouvoir adopter des modes préexistants et de se laisser ensuite absorber par eux. Beaucoup d'entre eux ne renonceront probablement pas à ces modes de vie originaux quand le statut d'adulte leur sera reconnu. Leurs façons de vivre « aberrantes » pourraient fort bien durer une vie entière.
Quelques précisions
(1) Le PIB (produit intérieur brut) est un indicateur économique qui permet de mesurer la production économique intérieure réalisée par un pays. Le PIB a pour objet de quantifier la production de richesse réalisée par un pays sur une période donnée, généralement un an ou un trimestre, grâce aux agents économiques résidant dans le pays concerné. Il s'agit donc d'un indicateur qui reflète l'activité économique interne d'un pays.
(2) L’Indicateur de Développement Humain, ou I.D.H., a comme objectif d’essayer de mesurer le niveau de développement des pays, sans en rester simplement à leur poids économique mesuré par le Produit intérieur brut (P.I.B.) ou le P.I.B. par habitant.
(3) Le produit national brut (PNB) correspond à la production annuelle de richesses (valeur des biens et services créés moins valeur des biens et services détruits ou transformés durant le processus de production) créées par un pays, que cette production se déroule sur le sol national ou à l'étranger.
(4) Elle regroupe l'ensemble des individus considérés en âge de travailler. Dans les économies modernes, il est convenu des normes concernant l'âge au travail.
(5) Le dividende démographique est une notion économique qui décrit l'avantage économique par nature transitoire dont dispose un pays en cours de transition démographique).
Sources
ALLÂT, P., YEANDLE, S. M., 1984. Family structure and youth unemployment. Communication présentée à la British sociological association, Bradford.
ELA, J.-M., ZOA, A.-S., 2006. Fécondité et migrations africaines, les nouveaux enjeux. L'Harmattan, 356 p.
FERRY, B., (dir.), 2007. L'Afrique face à ses défis démographiques : un avenir incertain. Agence française de développement, Karthala, Paris, Centre population et développement, Nogent-sur-Marne, 379 p.
KALASSA, B., 1994. Description du peuplement de l’Afrique de l’Ouest. Document de travail n° 1. Perspectives à long terme en Afrique de l’Ouest. OCDE, BAD, CILSS, 123 p.
LEYMARIE, P., PERRET, T., 2006. « Démographie », in Les 100 clés de l'Afrique, postface d'Elikia M'Bokolo, Hachette littératures, RFI, Paris, pp. 149-153.
MAY, J. F., GUENGANT, J.-P., 2006. Les Défis Démographiques Des Pays Sahéliens.
Croissance démographique et développement en Afrique subsaharienne par Yannick ZAMBO ZAMBO
